31.3.06


Quelques mots de l'auteur

C’est très bizarre. Je suis en période de promotion de mon roman (1) qui traite des rapports au réel et à la justice des écrivains et des journalistes. Et je suis poursuivi par les appareils judiciaires. Mon inculpation récente pour injure, calomnie et diffamation est difficile à accepter. Elle fait suite à la publication de mon livre, en mars 2001, sur la multinationale Clearstream (2). J’y avais révélé une transaction entre une banque en faillite, la BCCI surnommée banque « du crime et de la corruption » et la BGL, Banque générale du Luxembourg. Quelques clients privilégiés ont bénéficié, grâce à la médiation de Clearstream, de 100 MF alors que l’immense majorité des épargnants a été spoliée. On ne remet pas en cause cette information mais le fait que j’ai qualifié ce transfert d’ « illégal » alors qu’une décision d’un tribunal de Luxembourg l’autorisait. Pour ces quelques lignes dans un livre de 400 pages, la BGL qui a été à deux reprises déboutées en France me poursuit, cinq ans plus tard, à Luxembourg. Le parquet local la soutient. Le même appareil qui s’apprête à donner, dans un assourdissant silence, un non lieu général à Clearstream et à son pdg me menace d’une forte amende et de détention préventive si je ne réponds pas à ses convocations. Les mêmes magistrats (européens) qui ont refusé de recevoir mes preuves sous prétexte que leur origine était douteuse veulent me faire payer l’embarras suscité par nos révélations dans le monde de l’hyper finance. Cette situation, loin de m’abattre, me révolte. Et les signes d’encouragement à mon égard (3) m’encouragent à ne rien lâcher. On cherche à me faire taire car je n’ai fait qu’écrire la vérité.

DR

(1) La domination du monde, Julliard
(2) Révélation$, les Arènes
(3) Voir le site « www.liberte-dinformer.info »
Un roman édifiant, qui se lit comme un polar et devrait être remboursé par la sécurité sociale - 10/03/06 -BT

Si vous ne supportez plus ces voix autosatisfaites (on se demande bien pourquoi) qui vous parlent du CAC 40, du Dow Jones ou du Nikkei comme s’il s’agissait d’un membre de leur famille, si vous pensez qu’au fond il y a quelque chose de pas très clair au royaume de la finance, vous êtes mûrs pour lire le dernier livre de Denis Robert, intitulé "La domination du monde" (Julliard). Denis Robert, c’est ce journaliste qui durant des années a mené des enquêtes approfondies sur la corruption à la française, "Pendant les affaires, les affaires continuent", mais aussi sur les pratiques de certaines banques luxembourgeoises : "Révélation$". Ecœuré par le peu d’efficacité de ses bouquins, découragé par les procès en cascade (car le gibier que Denis Robert chasse au plomb d’imprimerie a les moyens de se payer des missiles judiciaires), l’ancien de Libération a préféré laisser tomber le journalisme "pur" pour se consacrer au roman impur. Une manière de contourner l’obstacle, de tirer par la bande, surtout de s’abriter derrière le bouclier de la fiction pour ne pas être écrasé financièrement par les procès. (On se demande si Jacques Tillier ne devrait pas transformer son édito en "fiction" du samedi...). Et le résultat est là. On reste médusé devant ces flux d’argent qui parcourent la planète, contournent l’obstacle des Etats et des instances démocratiques, vont se blanchir au Luxembourg, pays que l’on n’hésitait pas à nous présenter récemment comme le garant de l’Europe alors qu’il n’est peut-être que le garant de la filouterie internationale. Il faut quand même savoir que dans ce duché exemplaire, le ministre de la Justice est aussi ministre du... Trésor et du Budget ! Un roman édifiant, qui se lit comme un polar et devrait être remboursé par la sécurité sociale. Car inutile de dire qu’après cette lecture, on ne se sent plus le moins du monde angoissé à l’idée d’être à découvert bancaire.

Bruno Testa

30.3.06

> PUBLIÉ MERCREDI
canard
enchaîné - 29/03
Au feu les banquiers !

DENIS ROBERT a toujours payé de sa personne. Seul, tranchant... et parfois exaspérant, il s’est voulu le samouraï attaquant un certain monde de la « finance ». Avec l’affaire de la banque luxembourgeoise Clearstream en 2002, il a perdu des plumes et multiplié les procès. Aujourd’hui, avec ce roman, « La domination du monde », il raconte son histoire, ou plutôt il la fait raconter par l’un de ses amis psychanalyste. Le voilà donc héros d’une redoutable aventure décrite par un autre, ce qui n’est pas une mince affaire.
Ainsi Robert devient Yvan Klébert, qui, au bout du rouleau, débarque chez un homme tranquille, aisé, famille, 4 x 4, avec ses fiches, ses dossiers, son carnet d’adresses et son passé sulfureux d’investigateur intrépide. Chargé, en plus, d’un terrible poids sur la conscience : la mort suspecte de Justine Mérieux, jeune attachée parlementaire qui était au courant de ses « découvertes ». Pour lui c’est un meurtre. A partir de là, son ami le psychanalyste, abandonnant clients et divan, va s’efforcer de remonter la filière. De tout démonter.
L’épicentre du scandale se trouve à la Shark Company, située sur le plateau de Blankenberg au cœur du grand-duché de Luxembourg : le boss de cette holding monstrueuse est un nommé Ruddy Weierming. Chez lui, ce sont des transferts permanents de sommes vertigineuses… qui, au moyen d’une informatique diabolique, « s’effacent » comme par enchantement. D’où viennent-elles, où vont-elles, à qui appartiennent-elles ? C’est le noir absolu. Klébert veut comprendre les mystères de ce « paradis » d’un nouveau genre.
On va le suivre dans ses tentatives d’approches, on va se retrouver au plus près de ces hommes de l’ombre… et on plonge alors dans un polar où les « tueurs » n’ont pas forcément besoin d’armes sophistiquées. Mais bien plutôt d’écrans magiques. Et Robert, avec une maestria assez ébouriffante, nous fait entrer au cœur du secret. On y rencontre des personnages « bien sous tous rapports » qui, d’une seule opération, peuvent bloquer ou détourner, ou blanchir, des quantités insoupçonnables d’argent. « L’étoile noire de la finance c’est Shark Compagny. La météorite, c’est le pavé de Klébert. Il peut arriver que certaines étoiles explosent au contact d’une météorite. » Alors, à quand la déflagration ?
Ces « élucubrations compulsives » sont du genre remuant. Et dans « La domination du monde », « l’arrogant et manipulateur » Denis Robert (c’est ainsi qu’il s’autoqualifie dans l’ouvrage) domine fort bien son sujet…

André Rollin – canard enchaîné – 29/03/06

29.3.06

"petit mais costaud. Il est notre héros"
Participez à ce blog, lisez les articles, signez la pétition, dévorez le livre, suivez les liens... Tous les jours ce blog sera mis à jour, et Denis Robert interviendra régulièrement, nous faisant part de son actualité, de ses idées, ses attaques et ses défenses... Venez donc vous perdre régulièrement parmi les articles et les images de ce blog, postez vos commentaires et restez attentifs, car bientôt les films de Denis Robert arrivent...
Allez aussi voir le livre et ses extaits www.ladominationdumonde.com


"Klébert poursuit une quête très personnelle, la recherche d'une vérité qui ne soit pas seulement la sienne." écrit-il dans son roman

À travers « La domination du monde », il nous insuffle l'espace de quelques centaines de pages une inspiration héroïque. Depuis la sortie du livre, un étrange effet de réel semble avoir rattrapé l’auteur. Comme si les personnages et les sociétés dont parle le livre ne supportaient pas la mise en abîme et cherchaient à lui faire payer son impertinence. Sous le poids de nombreuses accusations et une inculpation pour calomnies et injures, notre héros est en danger. Par ce blog, nous allons participer ici à la suite de son enquête-épopée. C’est un accès de plus pour comprendre, entretenir et soutenir. Pour prouver que dominer n'est pas gagner. Pour confirmer que "les livres sont des barrages". La domination du monde est plus qu'un polar et plus qu'une vérité, c'est un vrai roman à lire de toute urgence.

"Petit mais costaud. Il est notre héros."

Sidonie M. - admin

28.3.06

peintures de Philippe Pasquet & Denis Robert

21.3.06

Technikart - ILS VEULENT RENDRE AMER DENIS - 21/ 03/06

Au moment même où sort "La Domination du Monde", roman inspiré du scandale de l'affaire Clearstream, son auteur Denis Robert est à nouveau menacé par la justice luxembourgeoise. Si on veut faire taire Denis, c'est donc que Robert dérange. Interview.
par Vincent Cocquebert, 21 mars 2006

Après "Révélation$", "La Boite Noire" et "L'Affaire Clearstream raconté à un salarié de Daewoo", l'écrivain journaliste Denis Robert repart en croisade contre les barons de la finance internationale et publie "La Domination du Monde", un thriller scotchant où s'entremêlent subtimilement fiction et réalité sur fond de blanchiment d'argent à échelle industrielle. Dans un monde semblable à un fast-food de l'information, où les affaires les plus sandaleuses font « psschit » avant même d'avoir éclaté, la fiction est-elle devenue le seul moyen pour dire la vérité ? Afin de répondre à cette insoluble interrogation, nous sommes allés rencontrer Denis dans un luxueux hôtel rue de Marceau. Interview fleuve.

Technikart : Denis Robert, pourquoi avoir utilisé la fiction pour raconter une histoire déjà évoquée aux travers des livres d'enquêtes ?

Denis Robert : Après avoir écrit Révélation$ et La Boîte Noire, réalisé deux documentaires, mais aussi publié des romans érotiques, des chroniques d'enfances, bref des choses plus proches de l'introversion, je me suis demandé : qu'est-ce que je fais maintenant ? Là, je me suis rendu compte que la seule chose qui me restait, c'était de raconter comment quelqu'un qui dit la vérité n'est pas entendu. J'ai donc créé cette histoire d'un journaliste qui s'appelle Klébert, qui va voir son ami psychanalyste parce qu'il est un peu au bout du rouleau et à qui il va demander de prendre le relais de son enquête sur la « Shark Company ». Je l'ai vraiment écrit pour réussir à toucher tous ces gens qui ne connaissent pas mon travail par ailleurs. Selon moi « La Domination du Monde » est mon livre le plus abouti. C'est un livre qui a une dimension plus universelle et qui raconte mieux toutes ces histoires de finances. Ceci dit, « La Domination du Monde » reste surtout, pour moi, un livre sur l'écriture et la recherche de vérité.

Technikart : La fiction vous a-t-elle permis d'en dire plus au sujet de Clearstream, la société luxembourgeoise qui est au centre des transactions financières et que vous avez mis en cause dans vos précédents ouvrages ?

D.R : Pas d'en dire plus mais de mieux dire les choses. J'avais déjà testé à travers mes autres livres la confrontation directe avec le réel et je me suis rendu compte d'une certaine impossibilité à faire passer les choses. Grâce à l'intime qu'offre la forme fictionnelle, on peut rentrer dans la question du pourquoi. Pourquoi ce banquier a-t-il ce pouvoir ? Pourquoi fait-il cela de son pouvoir ? Pourquoi un journaliste exerce-t-il ce métier ? Je ne suis pas un imaginatif vous savez. Je m'inspire de ma vie et de celles des autres pour construire une histoire contemporaine et la fiction reste selon moi le meilleur moyen pour raconter la complexité du monde.

Technikart : Pourquoi avoir utilisé cette figure du psychanalyste ?

D.R : Sans doute car avant d'être journaliste ou écrivain, j'ai failli devenir psychanalyste. J'ai fait des études universitaires en psychologie, je suis assez proche de ces milieux là. Je trouve que le psychanalyste c'est quelqu'un qui regarde le monde sans en être acteur et j'avais justement envie que le personnage de ce roman évolue, bouge et devienne acteur de ce qu'il vivait.

Technikart : Comment se passe le processus d'écriture pour un roman tel que « La Domination du Monde » qui intègre tellement d'éléments du réel ?

D.R : Quand on écrit un roman, on ne pense qu'à ça, ça vous habite nuits et jours. Je suis passé par une vingtaine de versions avant d'arriver à celle-la. Au début c'était un schyzophrène, puis il y a eu deux personnages, etc. Evidemment, je suis dans ces deux personnages bien qu'en même temps ils soient tous les deux différents. Klébert, le journaliste, est un fou de la vérité et un obsédé des faits, beaucoup plus que je ne le suis moi. Il se dit tout le temps : « Ton rôle c'est d'écrire les faits rien que les faits ». Son ami pense que ça n'a pas de sens car, même dans une juxtaposition de faits, on glisse toujours différentes interprétations et il lui dit : « Sois plus franc et raconte le monde comme tu le vois. Si tu es juste ça passera ». Je pense que le génie et la magie du livre, ce n'est peut être pas très modeste mais je le pense donc je le dis, c'est que moi, Denis Robert, j'active ces deux personnages. C'est une mise en abyme ce roman. La mise en scène n'est là que pour permettre au lecteur de comprendre et d'appréhender l'histoire que je raconte en étant à la fois, tout près et très loin. C'est une mise en perspective qui doit provoquer de l'effroi pour qu'à tout moment on puisse se dire : « Putain, ça a l'air vrai ! ». C'est ce que j'appelle un « effet de réel ». Et si j'ai réussi mon coup, on doit retrouver beaucoup plus cela dans ce roman que dans un essai.

Technikart : Vous pensez en avoir terminé, avec ces histoires de finances ?

D.R : Je ne peux pas dire que c'est fini. Je sais comment je fonctionne et il va suffire que quelqu'un vienne me voir pour que ces affaires me rattrapent. Même si en ce moment j'ai autre chose, je sais que je ne peux pas dire non à ça, je ne suis pas encore allé au bout. Il y a plein de manières de raconter le pouvoir et je n'ai pas encore tout exploré.

Technikart : Pourquoi l'affaire Clearstream n'a-t-elle, selon vous, pas provoqué plus de remous que ça ?

D.R : Il y a selon moi deux raisons à cela. Premièrement : la jalousie etla paresse des journalistes qui parlent en mal ou qui ne parlent pas du tout de mon travail. La deuxième chose, c'est la puissance du lobby auquel je m'affronte. Je suis assez seul dans ce combat là avec mon éditeur et quelques copains. Il faut quand même savoir que l'on est face au pouvoir des pouvoirs quand on touche à ce pan de la finance. Il y a toute une mécanique qui est écrasante et contre laquelle un homme seul ne peut totalement s'opposer même si, paradoxalement, il n'y a qu'un homme seul qui puisse arriver à les déstabiliser. J'y suis d'ailleurs un peu arrivé et ce n'est pas fini. J'ai largement gagné la partie et elle est toujours en cours.

Technikart : Oui, vous avez été de nouveau inculpé le 27 janvier dernier par la justice luxembourgeoise. Pour quelle raison cette fois ?

D.R : Grâce aux microfilms de mon témoin, Ernest Backes, on avait réussi à trouver une transaction très louche impliquant une banque pakistanaise qui s'appelle la B.B.C.I. Il s'est trouvé que cette transaction n'était, en fait, pas illégale du fait de la décision d'un tout petit tribunal du Luxembourg qui l'avait autorisé. Sur ce fait là, la banque générale du Luxembourg m'a déjà attaqué en première instance ; elle a perdue, elle m'a ensuite attaqué en appel, elle a de nouveau perdue. Là, comme ils veulent me faire chier par tous les bouts, ils reposent la même plainte au Luxembourg. Et rien que pour ce tout petit détail, ils m'attaquent pour diffamation, injures etcalomnies. C'est épuisant car il faut prendre un avocat, se rendre à des audiences et aujourd'hui encore je risque dans le pire des cas de la prison ou une amende, simplement pour avoir écrit des choses vraies, c'est insupportable. Il y a là un vrai problème de liberté. C'est pour ça, la pétition de soutien que vous pouvez voir sur Internet, c'est un peu un appel au peuple. J'espère que ça va faire bouger les choses. Je les ai fait chier, mais ils me le rendent bien et sont plus nombreux que moi.

Technikart : Comment l'avez vous vécu cette frilosité de la part de certains journalistes par rapport à votre travail ?

D.R : Très mal. Je pensais être attaqué par des notables, des banquiers, mais j'ai véritablement été poignardé dans le dos par ces trois ou quatre journalistes. Il a les sous-fifres, les grattes papiers qui ont fait les articles mais il y a surtout derrière ces gens qui ont induit tout le monde en erreur. Quant « Le Monde » n'aime pas, il ne fait pas de papier et là il y a eu cinq papiers la semaine de la sortie du livre ! Ils ont créé des rumeurs autour de moi. C'est vachement dur de remonter la pente quant vous avez tellement de mauvaise foi en face de vous. Même un mec comme Plénel, je pense qu'il n'a pas été complètement conscient de ce qu'il faisait. Il a été manipulé lui aussi. Il n'y connaît rien en finances, il n'a sûrement même pas lu le livre. On lui a dit qu'il y avait quelques erreurs et il n'est pas allé plus loin que cela. En plus, il ne m'aime pas parce que j'écris à la première personne. Ca le fait chier et il me le fait payer. Cela dit, je l'emmerde.

Technikart : Vous regrettez parfois de vous être autant mis en danger ?

D.R : Non, c'est un vrai combat, un combat que j'ai choisi, c'est une aventure extraordinaire, un formidable plaisir ! Je suis avant tout un écrivain, je ne regrette rien. Sachez que j'ai une vie plus excitante que 99 % des gens que je rencontre ! Mais après il y a une vraie injustice, donc la question qui se pose c'est : j'accepte ou j'accepte pas ? Moi je n'accepte pas donc je me bats avec mes moyens. Il faut quand même se rendre compte que mes accusations, comme quoi Clearstream était un outil de dissimulation des transactions et qu'en plus le Luxembourg le protégeait, étaient très graves. En faisant cela, j'attaque carrément des juges, des magistrats, des hommes politiques. Ces gens là tiennent le système et ils tiennent aussi les journalistes qui, par paresse, préfèrent se censurer et ne parlent pas de ces histoires. Clearstream a tout intérêt à communiquer autour des plaintes qu'ils font contre moi car les gens entendent « une nouvelle plainte contre Denis Robert », mais ils n'entendent pas que je gagne mes procès. Je n'accepte pas les médiations, les trucs comme ça. Moi je veux qu'on dise que j'ai raison ! Mais s'ils me foutent la paix, je leur fous la paix. Ma vie est ailleurs que chez Clearstream. Mais il y a un côté très con et très revanchard chez les Luxembourgeois.

Technikart : A ce point ?

D.R : Oui, il doit y avoir quelques vieux notables là bas qui ne supportent pas qu'un gauchiste comme moi, pensent-ils, ai attaqué leurs institutions. Entre justice et Luxembourg, il y a une antinomie langagière, c'est une dictature bancaire avant d'être une démocratie, c'est un pays qui ne vit que sur la magouille bancaire. J'ai dénoncé des faits qui ont été avérés et ils n'ont jamais enquêté la dessus. Parfois ils ont quelques enquêtes qui leur servent d'alibis mais rien de plus. Dans cette histoire, je me dis quand même que le temps joue pour moi.

Technikart : Comment ça ?

D.R : Oui, du fait que les gens qui lisent mes livres intègrent le fait que je dis la vérité. C'est la meilleure chose contre la mauvaise foi des colonnes du « Monde ». Mes livres se vendent à vingt, trente milles exemplaires et même s'ils auraient dû se vendre cent fois plus, ils sont traduits dans de nombreux pays. Tout cela se propage, les politiques se l'approprient. J'ai quand même mis le projecteur sur un endroit qui était noir et méconnu et je ne vois pas un tribunal normalement composé me condamner.

Technikart : Vous considérez vous toujours comme un journaliste d'investigation ?

D.R : Je ne me suis jamais considéré comme un journaliste d'investigation. Je vis de mes droits d'auteurs. Ce sont les autres journalistes qui me présentent comme cela. Même mon premier livre « Pendant les affaires, les affaires continuent », ce n'était pas un livre de journalisme. C'est l'écrivain qui racontait la vie du journaliste que j'étais. Après, on peut dire que je fais du journalisme à ma façon mais je fais sans doute plus oeuvre de journalisme que 95 % des journalistes du « Monde » ou de « Libé ». C'est bien parce que je ne suis pas journaliste que j'arrive à faire des enquêtes aussi fortes. Je suis dans un cheminement de compréhension.

Technikart : Vous ne croyez pas que le manque de réactions par rapport à votre travail s'explique également du fait que peu de gens arrivent à penser l'économie ?

D.R : Ce que je raconte n'est pas dur à comprendre mais ça bouleverse les croyances et les mythes fabriqués par les journalistes financiers qui sont soit disant sérieux mais qui paradoxalement ne disent pas le réel. Ils se basent sur des indices boursiers qui sont bidons, ils fabriquent une actualité qui est entièrement payée par la pub ou par les banques. Il y a une idéologie générale qui va dans le sens de la consolidation du système donc moi, le savoir que j'amène, ça les bouleverse. Mais j'ai raison et ils ont torts. Pourquoi ça n'a pas plus d'impact ? Il faut aller leur demander à eux, il est nécessaire que ces histoires restent dans l'ombre pour que ça puisse continuer. Ces journalistes là, quand on les titille trop, ils sont vite à court d'argument, ils s'énervent et vont chercher à pointer des erreurs qui d'ailleurs n'en sont pas.

Technikart : Clearstream continue aujourd'hui ses activités en toute impunité ?

D.R : Oui, aujourd'hui, il y a 107 pays qui ont des comptes chez Clearstream, dont plus de quarante paradis fiscaux. C'est un véritable poumon, c'est essentiel au fonctionnement de la finance parallèle. C'est d'ailleurs aujourd'hui cette finance parallèle qui a pris le pas sur l'autre.

Technikart : Vous voulez dire que la finance illégale est plus importante que les circuits économiques légaux ?

D.R : En astrophysique, vous avez cette idée que, lorsque vous regardez les étoiles, il y a la matière visible et la matière invisible. On a pourtant longtemps cru qu'il n'y avait pas de matière invisible. C'est en étudiant la mort des étoiles, ce qu'on appelle les supernova ou encore le temps que mets la lumière avant d'arriver à la Terre, on s'est rendu compte qu'il y avait une résistance. Quand le physicien qui a inventé ce concept de matière noire de l'univers dans les années 30, en disant que l'anti-matière était bien plus important, à hauteur de 90 %, il s'est affronté à un déni collectif. C'est devenu un paria, il a du s'exiler aux Etats-unis mais l'avenir lui a donné raison.

Technikart : Et alors ?

D.R : Eh bien pour la finance, c'est la même chose. De l'univers financier, on ne nous renvoie qu'une lumière codée, connue, tels que les indices boursiers, les bilans etc. Ce que l'on n'a jamais pris en compte, c'est l'argent noir. Le commerce de drogue, ça représente 10 % de la masse financière. Cet argent rentre par endroit dans l'économie des systèmes démocratique. Il y a une matière noire, une anti-matière de la finance comme pour l'univers.

Technikart : Toute cette abstraction ne nuirait-elle pas à l'identification qu'il doit y avoir dans le processus d'information ? Un salarié lambda ne comprend peut être pas qu'elle influence ces mouvements financiers peuvent avoir sur sa vie.

D.R : C'est pour ça que j'ai fais le film, « L'affaire Clearstream raconté à un salarié de Daewoo ». En enquêtant, cela m'a semblé évident que c'était pour ces raisons que les usines fermaient. Je me suis souvent demandé où partait l'argent. Et le chaînon manquant entre ces entreprises et le salarié licencié, c'est Cleastream. Toutes ces affaires que je dénonce provoquent ces victimes là. On a beau dire que certains taux boursiers grimpent, ce qu'on peut observer, c'est par exemple qu'à Metz, il y a 15 ans, il y avait cinq SDF, ils sont aujourd'hui 500. On en enterre facilement une centaine dans la fosse commune chaque année. Ce sont des faits objectifs mais aussi des vérités inaudibles pour ces dirigeants.

Entretien Vincent Cocquebert

20.3.06


L.Massoulier-vrai roman, faux polar, ou l’inverse.

Denis Robert chasse le requin au Luxembourg
Amateur de pêche au gros, Denis Robert titille le squale au Grand Duché, dans «La domination du monde», vrai roman, faux polar, ou l’inverse. L’écrivain égale le journaliste, confirme nos doutes et entretient l’espoir. Du grand art.


«J’ai longtemps vécu avec l’idée qu’il était impossible de changer le monde». Cette phrase est extraite du dernier roman de Denis Robert, La domination du monde, paru chez Julliard. Cette phrase pourrait figurer sur la pierre tombale de l’écrivain, comme un ultime pied-de-nez de celui qui, par ses enquêtes acharnées, ambitieuses et précises, s’est attiré les foudres, entre autres, du Grand duché du Luxembourg, paradis fiscal qui n’aime pas les vagues, du journal Le Monde, dont la domination dans le microcosme journalistique de notre beau pays n’est plus à démontrer, et, du coup, des journalistes eux-mêmes, qu’on aurait pu penser solidaires de leur confrère «indépendant» (c’est-à-dire qui n’aime pas les révérences), mais qui, bien au contraire ont préféré lui tourner le dos pour retourner à leurs compromissions d’avant-premières et de passe-droits, qui leur assurent une accessibilité sans limite à tout ce que la planète compte de spectacles truqués comme des marchés, d’enthousiasmes calculés et d’indignations sur commande.

En un mot, du vent. Denis Robert, lui, ne brasse pas beaucoup d’air, il ne s’agite pas en vain pour rafraîchir l’atmosphère, bien au contraire, il appuie où ça fait mal, jette un œil binoculaire sur la substantifique moelle des échanges entre les hommes: l’argent. L’argent et comment il disparaît, puis réapparaît, puis disparaît à nouveau, pour réapparaître sous une forme qu’on ne soupçonne même plus être de l’argent, ou presque. Denis Robert est parti en guerre contre les dissimulateurs. Pas des moulins à vent, non, des banquiers, des spécialistes de la finance, des acrobates du chiffre, de l’espèce sonnante, qui, en un tour de main informatique, sont capables de multiplier quelques centaines de milliards par quelques centaines de milliards pour obtenir...zéro. Rien. Que dalle.

Tout se transforme, tout disparaît. Comme si rien de tout cela n’existait vraiment, comme si l’argent, pourtant le nerf de toute guerre, était une espèce de matériau transparent, impalpable, soluble dans tout, et indétectable. DansRévélations, puis dans La boîte noire, le journaliste Denis Robert, qui a pour particularité de ne pas prendre les gens pour des cons, ni pour des spécialistes, mais juste pour des individus capables de comprendre parfaitement ce qu’on leur explique patiemment, nous exposait le lièvre qu’il avait levé, avec ses grandes oreilles, ses grandes pattes, et son gros ventre empli de billet. Un lièvre luxembourgeois donc secret, donc discret, donc froid comme une piste d’aéroport la nuit. De cet aéroport s’élèvent tous les conflits que nous voyons ensuite émiettés dans les journaux télévisés, ces conflits militaires, syndicaux, ces drames sociaux qu’on essuie d’un coup de serviette, d’une commissure l’autre, entre la poire et le fromage. Méticuleusement, patiemment, Denis Robert dévoile le pot aux roses, évente le mensonge. Il dévoile le truc.

Vous savez, dans tout tour de magie, il y a un truc. Qu’il vaut mieux ne pas savoir, d’ailleurs, sinon, le plaisir disparaît. Le plaisir de se faire duper. Si l’on dévoile le double fond, la sortie dérobée, la lame qui se rétracte, adieu la magie, adieu le charme. Denis Robert lève le voile, lui, et sans scrupule, parce que là, la magie n’opère pas. Ce n’est pas «Le Grand Cabaret», c’est «La plus grande lessiveuse du monde», ou une des plus grandes. Alors il nous relate, expose les faits, démontre, prouve, analyse, tout en rigueur et en stupéfaction: lui-même est effaré par l’ampleur du forfait. Lui-même n’en revient pas. Une sorte d’attaque du train postal avec un train postal qui irait de la Terre à la Lune, au moins. L’argent disparaît, et on ne sait pas comment. Ou plutôt, on ne savait plus comment. Jusqu’à Denis Robert. Aujourd’hui, Denis Robert l’écrivain, le romancier, enfonce le clou, dans La domination du monde, donc.

Ce roman, c’est un peu la boîte noire de La boîte noire, c’est l’histoire, plus ou moins romancée, de son enquête, de ses affres, des embûches et des troubles. C’est l’histoire d’un homme aux prises avec quelque puissance financière quasi occulte mais pourtant réelle, tellement réelle. C’est l’histoire d’une conviction aussi, d’une force d’âme, d’une certitude. C’est l’histoire d’un monde, le nôtre, notre réalité, et pourtant c’est une fiction. «C’est le monde à l’envers», comme l’écrit Robert. Et Robert, en plus, l’écrivain, écrit bien, écrit juste. Sans pathos, sans leçon, sans sermon, il écrit simple, il déroule le film de son faux polar comme s’il s’agissait d’un fil d’Ariane, seul capable de nous permettre de reprendre le chemin d’une vérité, peut-être pas ultime, peut-être pas décisive, mais sans doute plus présentable que la copie qu’on nous sert, jour après jour. La domination du monde est le roman d’un homme, citoyen, journaliste, partie prenante d’une société inégalitaire et biaisée, qui croit plus que jamais en son combat, qui, malgré quelques rouleaux compresseurs judiciaires lancés à vive allure sur sa personne, ne baisse pas les armes, continue, s’entête, convaincu qu’il tient le bon bout. «Un homme seul et déterminé peut beaucoup, même face à une hydre à mille têtes. A force de le faire passer, le message finira par les atteindre. Et par les laminer.»

Denis Robert n’a pas perdu. Nous non plus. Après tout, dominer n’est pas gagner.
Lilian Massoulier

19.3.06

A.Charlot-C’est un roman. Et même un peu plus que ça...
23/02/06


La domination de l’information
Le dernier livre de Denis Robert s’appelle "La domination du monde". C’est un roman. Et même un peu plus que ça...

Dans les années 1970, le héros de thriller était un homme seul, opiniâtre et courageux. Les informations qu’il détenait, qui dénonçaient les agissements d’obscures organisations, le mettaient en danger de mort. S’il parvenait à déjouer les pièges tendus par ces organisations et à rester en vie, le héros de thriller finissait généralement par trouver un journal ou une chaîne de télévision qui acceptait de sortir ses précieuses informations. La vérité éclatait. Le scandale éclaboussait l’organisation. La population savait.

Aujourd’hui, le héros de thriller est toujours seul, opiniâtre et courageux. Sauf qu’il n’a plus la moindre chance de faire éclater la vérité. Tout simplement parce que ce n’est plus l’enquêteur qui est en danger de mort, c’est l’information elle-même.

Denis Robert l’a compris, pour l’avoir vécu lui-même. Il vient d’écrire le premier thriller dont le personnage principal est l’information. Dans La domination du monde, il décrit minutieusement le calvaire de l’information:elle surgit d’abord, tellement brûlante que c’est sûr, elle va mettre le feu au monde entier, puis elle se fait saisir par la partie adverse et elle est confiée à des mains expertes qui vont la maltraiter, la déformer, la défigurer, la déchiqueter, jusqu’à en faire une rumeur foireuse qui n’intéressera aucun média. Donc personne.

Le héros du thriller n’a alors plus qu’à passer la main ou à devenir fou. Ou les deux. A quoi reconnaît-on un écrivain? Sans aucun doute à sa capacité à raconter notre monde. Beaucoup d’écrivains se contentent de le commenter. C’est plus commode, moins fatigant. Denis Robert, lui, il est infatigable. Increvable, même. Inlassablement, il va chercher les mots pour mettre un visage sur ces «choses» dont on entend parler tous les jours, sans savoir à quoi elles ressemblent vraiment: pouvoir, multinationale, corruption, libéralisme, impunité, finance, blanchiment, connivence, exploitation... domination.

Mettre un visage. C’est de cela qu’il s’agit. Car aussi sophistiqué soit le système auquel on a à faire, il arrive toujours un moment où il peut se réduire à deux hommes qui se parlent. Deux visages. Pour Denis Robert, écrire, c’est faire sans cesse un peu plus le point sur ces visages. Livre après livre. Pour le lecteur, c’est regarder ces visages en face, les yeux grands ouverts. C’est voir le monde tel qu’il est, quel que soit le vertige que ça provoque. Et c’est avoir la certitude qu’on vient de lire un écrivain. Un vrai.

Alexandre Charlot
P. Assouline

La situation est suffisamment inhabituelle pour être signalée : ce matin, un écrivain français est convoqué dans le cabinet d'une juge d'instruction luxembourgeoise afin d'y être inculpé pour diffamation. Une plainte a en effet été déposé contre lui par la Banque du Luxembourg, laquelle estime avoir été calomniée dans son livre Révélation$. Le moins étonné est l'auteur lui-même.

On pourrait croire qu'avec un sens consommé de la provocation, Denis Robert cherche les coups et les ennuis. Disons plutôt qu'il ne les redoute pas. Comme si c'était le prix à payer pour toute enquête qui se respecte. L'enquête, c'est son truc. Un moyen et une fin. Autrefois à Libération, désormais en solo dans ses livres, il défriche et dépiaute sans fin dès lors qu'il a une idée fixe en tête. Il ne faut pas chercher son modèle du côté du Woodstein des Hommes du président, mais plutôt dans les parages du Capote au sang-froid. Denis Robert a ce qu'il faut de naïveté, d'inconscience, de courage et de persévérance pour se faire une spécialité d'un genre où le risque majeur est d'être instrumentalisé et de verser dans la paranoïa.Alors la vision obsidionale du monde l'emporte sur l'analyse rigoureuse et documentée de sa complexité, et on perd toute crédibilité.

C'est lui qui avait révélé le scandale Clearstream en 2001 : il accusait alors la société de compensations (elle joue un rôle central dans les transactions financières entre les grandes banques mondiales) d'avoir dissimulé des opérations illégales telles que corruption et détournements de fond. S'ensuivit un bras de fer judiciaire qui manqua le ruiner ainsi que son éditeur, en procédures et frais d'avocat.

Denis Robert avait tenu bon malgré tout, même s'il ne cachait pas sa déception : peu soutenu par les confrères quand il n'était pas enfoncé par eux, déçu par leur suffisance et leurs insuffisances, il se voyait reprocher son amateurisme, son manque de sources et son incompétence dans la compréhension des mécanismes financiers. Dans le Nouvel Observateur (pas encore de lien) de ce matin, il reconnait :"Je ne m'attendais pas à un tel silence de la presse". L'an dernier, aussi amer qu'épuisé mais pas découragé pour autant, il m'avait dit : "Je vais tout raconter, l'histoire de l'histoire, l'affaire dans l'affaire, mais à travers un roman car la fiction peut dire aussi cette vérité là , elle me permettra d'en dire davantage sans aller au proçès". Il a tenu parole.

La domination du monde (347 pages, 20 euros, Julliard) vient de paraître et ne déçoit pas, vraiment pas. C'est du bon Denis Robert dès qu'on entre dans le vif du sujet, passé le premier tiers. L'histoire d'un type qui se sent lâché par ses repères, et qui bascule du jour où il est mangé par ce que vit un autre. Le titre est inspiré par un passage du Capital : "Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d'abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l'intérêt général". Du condensé de Marx. Il n'en faut pas davantage pour donner le ton à un livre, mâtiné de grands morceaux d'Albert Londres ("porter la plume dans la plaie") et de miettes de Kierkegaard pour dénoncer ces lourds secrets camouflés dans les couloirs silencieux des étages supérieurs.

Ses personnages sont très propres sur eux, ils jouissent d'une excellente réputation internationale (comme les patrons de Clearstream), avec les moeurs assorties, ils n'en sont pas moins à ses yeux l'incarnation des nouvelles mafias, parfaite illustration des dérives des démocraties. La double comptabilité et l'effacement des traces des transactions sont évoquées comme des crimes couverts par la chape de plomb du secret et de la respectabilité.

Thriller ou docu-roman, peu importe l'AOC. C'est peu dire qu'il s'agit d'un livre à clé sur les circuits de l'argent invisible : la Shark company, immense gare de triage de la finance internationale, pour Clearstream, l'Eglise de la Réconciliation pour l'Eglise de Scientologie etc. Mais le trousseau ne pèse pas trop pour dire les affres d'un journaliste qui est allé trop loin désormais pour se retirer.

" A force de le faire passer, le message finira par les atteindre. Et par les laminer" écrit-il in fine. Il y a du Don Quichotte en Denis Robert. Clearstream est son moulin à vent, l'informateur de l'intérieur Ernst Bakes son Sancho Pança, mais le Luxembourg a d'autres arguments que la vieille Castille. Il croit qu'un livre est un barrage. Qu'il peut changer le monde. Que le monde est transformable. Que la domination du plus grand nombre par un tout petit groupe n'est pas une fatalité. Ni Candide ni Albert Londres au bagne de Cayenne, il est plutôt Cary Grant alias Roger Tornhill dans La Mort aux trousses de Hitchcock (Photo). Du début à la fin, c'est tout le mal qu'on lui souhaite.

27/01/06, Pierre Assouline
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Comment un romancier choisit-il le nom de son héros ? Sans doute pas au hasard. Un écrivain, enraciné comme l’est celui-ci dans les marches de l’Est, ne baptise pas son personnage « Klébert » sans avoir pensé à Jean-Baptiste, le général révolutionnaire de l’armée des Ardennes, héros de Fleurus, sabreur des guerres vendéennes, compagnon de Bonaparte pendant la campagne d’Égypte, et son plus redouté rival. Qui sait si ce n’est pas lui qui serait devenu empereur, s’il n’était mort en 1800 au Caire, assassiné par un étudiant en théologie (oui, déjà...) ? Je sais, Kléber le général s’écrit sans t au bout. Seule petite différence d’avec Yvan Klébert, le journaliste du dernier roman de Denis Robert (1), qui, comme son presque homonyme, mène ses assauts sabre au clair avec un courage frisant l’inconscience [« Le fer heurtant le fer/La Marseillaise ailée et volant dans les balles/Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales/Et ton rire, ô Kléber. » (Victor Hugo)].

Kleber, Klébert, pour sûr. Et si c’est pas voulu, c’est l’inconscient qui travaille !

Mais Klébert sonne aussi comme Kepler (1571-1630), le génial astronome qui énonça les lois du déplacement des planètes et calcula la durée de leurs révolutions.

Yvan Klébert, Johannes Kepler. Et tiens, voilà qu’on découvre, au fil du roman, que le journaliste est aussi un passionné d’astronomie. En enquêtant sur la face cachée de l’économie financière mondialisée, l’évidence lui a sauté aux yeux : comme il y a une antimatière, une « matière noire » de l’univers, qui explique la trajectoire des galaxies, il existe une antimatière de la finance, invisible, dissimulée au commun des mortels, où s’engloutissent des pans entiers de la richesse du monde, au profit d’une poignée d’initiés : « Il pense à Fritz Zwicky. Rarement il s’est senti aussi proche de l’astrophysicien. Il se dit qu’il n’est pas loin d’éprouver ce que Zwicky a dû ressentir quand, dans l’oeil de sa lunette, il a aperçu sa première supernova. Et ainsi compris que l’Univers était beaucoup plus vaste que ce qu’en disaient ses confrères. Un nouveau territoire encore inexploré... Dans le cas de l’univers financier, on s’épuise, à longueur d’articles, de débats politiques ou judiciaires, à évoquer les méfaits du crime organisé ou l’existence d’une très lointaine et mystérieuse finance parallèle. Les yeux rivés sur son écran, à surfer sur ces milliers de comptes, cette finance parallèle défile enfin sous ses yeux. Elle existe. Ce n’est plus une hypothèse. Il peut la lire et la toucher. »

Ce qu’Yvan Klébert a découvert et s’époumone à crier à la face du monde, c’est que l’argent du crime, des mafias, des drogues, de la prostitution, des ventes d’armes, celui aussi des dictateurs, des sectes, des barbouzeries en tout genre... se blanchit, se recycle, se régénère (non sans une déperdition mahousse, qui n’est pas perdue pour tout le monde), que cette « matière noire » entre dans la matière blanche de l’économie officielle ; et que les blanchisseries sont là, sous nos yeux, honorables établissements ayant pignon sur rue. Avec la complicité des États, des institutions, des politiques, qui, au mieux, préfèrent regarder ailleurs.

Ce qu’il nous crie, c’est que « le capitalisme est devenu clandestin ». Et qu’il est en train de détruire ce que nous appelons sans rire une civilisation.

Mise en abyme

Voici donc qu’un beau jour Yvan Klébert déboule sans crier gare chez un ami de trente ans à peu près perdu de vue depuis la fac. Le narrateur. Qui n’est pas nommé. Il est psychanalyste, ce drôle de métier qui consiste à « simplement ouvrir les yeux sur cette évidence qu’il n’y a rien de plus cafouilleux que la réalité humaine » (Lacan). Sa petite vie tranquille, « douce et studieuse », va se trouver bouleversée par ces retrouvailles.

Le procédé littéraire de la Domination du monde est ce qu’on appelle une « mise en abyme. » L’auteur est tout à la fois Klébert, le journaliste intrépide engagé dans son combat à mort contre le capitalisme clandestin, et le narrateur, que son ami charge de la périlleuse mission de reprendre le flambeau. En gros : voici les preuves, voici les pièces, j’ai échoué à changer le monde, à toi de jouer. Mes bouquins ont fait flop, on a tenté de me discréditer, de me faire taire par tous les moyens. La fille qui m’aidait est morte dans un accident de la route, dont je suis persuadé qu’il est un assassinat camouflé. Je suis au bout du rouleau, trop exposé pour continuer, à toi de jouer. Raconte mon histoire, ma bagarre, sous une forme romancée, qui sera peut-être plus efficace que mes austères essais. Cadeau !

Je ne vais pas vous gâcher le plaisir de la lecture. La forme est celle d’un polar de bonne facture. Chapitres courts. Écriture sèche, efficace. Et trousseau de clés...

Robert le fou

Denis Robert est fou. Cet ancien journaliste de Libération s’est lancé, voici quelques années, dans une aventure à hauts risques. En enquêtant sur une grande banque luxembourgeoise, Clearsteam, spécialisée dans les activités de compensation interbancaires (virements informatiques de comptes à comptes), il a mis la main sur ses comptes cachés, ses écritures effacées, les preuves de son activité de blanchiment d’argent sale.

Il a tout raconté dans un essai, Révélation$ (2), qu’on vous a chaudement recommandé en son temps, mais que la « grande presse » a soigneusement étouffé. Ou jugé irrecevable, exagéré, non fiable. Épaulé par un éditeur courageux, Laurent Beccaria (qui est aussi l’éditeur de Verschave, ce n’est pas sans rapport), Robert s’est battu comme un diable, a multiplié les débats dans les cercles militants, appuyé son livre par un film (diffusé sur Canal +, coup de chapeau au passage à l’ami Moreira...), puis un autre livre, la Boîte noire (3), qui prolonge et éclaire le premier. Non sans résultats : une enquête parlementaire (Montebourg et Peillon) a largement confirmé ses dires, le patron de Clearsteam a giclé. Puis, plus rien. La vie continue, et les pratiques occultes. Et Robert fait face, avec son éditeur, à des emmerdements judiciaires à répétition (4). Il gagne, du reste, ses procès : mais l’adversaire a les moyens et ne le laisse pas en paix. Bataille épuisante, coûteuse, admirable. Cette fois, après ceux de la banque-lessiveuse (toujours pendants en appel), c’est aux assauts de l’État luxembourgeois qu’il se trouve confronté. Mouillé jusqu’à l’os, le Grand Duché (dont le ministre de la Justice est aussi celui du Trésor et du Budget !) assigne le journaliste-écrivain. Denis Robert a besoin qu’on l’aide à tenir, il le mérite amplement. Une pétition est en cours pour exiger qu’on lui lâche la grappe (5). Signez-la, faites-la signer (et demandez-vous au passage pourquoi tous ces farouches défenseurs de la liberté d’expression, si actifs ces temps-ci quand il s’agit de Mahomet, tardent à monter au créneau dans un combat qui concerne bien davantage notre société, nos valeurs, notre démocratie...).

Et surtout, achetez la Domination du monde, lisez-le, faites-le lire autour de vous. Rejoignez le fan club de Robert le fou !

Bernard Langlois,
Politis

18.3.06


L'affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo
Vidéo envoyée par sidoniem